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15 mai 2010 6 15 /05 /mai /2010 09:42

Parcours de santé mentale, [1994-2002] V1 autoédit. 2002  allégée, accueil et articles 1-26

 

2 décembre 1988

 

Service Sainte Isabelle, Urgences psychiatrie, Hôtel-Dieu de Paris

 

 

Quand je suis arrivée devant la porte du service, plusieurs lettres étaient décollées et j'ai frémi en voyant :

  

SS    HIT ER

 

J'allais entrer dans un service dirigé par des hitlériens !

 

De part et d'autre, les quelques lettres restantes m'ont fait penser qu'à l'origine, c'était écrit tout simplement :

 

SERVICE      DE      PSYCHIATRIE

 

J'en ai conclu que l'on avait volontairement déplacé des lettres. Il y a fort à parier que c'était l’œuvre d'un patient, du moins, je l’espère. Cela a constitué pour moi un avertissement de ce qui m'attendait à l'intérieur, mais simultanément, j'en ai déduit que je pourrais y trouver des amis. Mais peut-être pas, la personne était peut-être partie. Mon impression a été confirmée quand, à peine entrée, on a refermé la porte à clef sous mes yeux !!! J'étais terrorisée ! Prisonnière ! Et en plus, ils faisaient semblant d'être gentils.  (1)

 

Note 1. Je me suis souvent posé la question si les gens qui travaillaient là (ou dans les hôpitaux psychiatriques, c'est le même système) avaient réfléchi au moins une fois à ceci : s'il leur arrivait de vivre cette expérience, n'auraient-ils pas eux aussi la curieuse sensation d'être mis en prison ? Comme si les malades n'avaient pas déjà assez d'angoisses autres ! Les considérer en adultes et personnes responsables ne les aiderait-il pas mieux ?  Si certains me lisent, je leur fais quelques suggestions : tout d’abord, prévoir au préalable dans les locaux, un sas d’accueil pour permettre une transition douce, d’où je les conduirais immédiatement dans un bureau pour m’enquérir de leur état, des évènements qui les ont conduits ici. C'est la moindre des règles de savoir-vivre. Je leur parlerais du service et de son activité (s'il y en a), et de son règlement, que la porte est fermée pour des raisons de sécurité. L'expérience qu'ils vivent non seulement les effraie, mais effraie aussi les autres parce que c'est l'inconnu. Par conséquent, il est préférable de limiter la communication. Parallèlement, la taille réduite du milieu les aidera à se concentrer, se relaxer, etc. De plus, je suis persuadée que tout être humain pourra beaucoup mieux se défendre psychologiquement par rapport à un dit que par rapport à un acte. Pour tout dire, cela me paraît être une évidence. De plus, quand on parle de règlement, tout individu peut toujours imaginer qu'il n'a pas été conçu pour son propre cas. Ça fait toujours du bien, et comme dirait quelqu'un que je connais bien, ça ne mange pas de pain.

 

 

Je n'ai pas voulu quitter mes lunettes noires. Il me fallait rester sur mes gardes en permanence. Quand un malade me demandait pourquoi, je répondais que c'était pour me protéger de la lumière. Au médecin, j'ai dit que c'était pour éviter de me mettre le doigt dans l’œil. Comme je ne voulais pas lui dire la vérité pour ne pas aggraver sa perception de mon cas, j'avais eu cette idée invoquant des faits réels. Je porte des lentilles souples et cela m'a fait perdre le réflexe de refermer l’œil si un objet se dirige lentement vers lui, à force d'approcher mes doigts matin et soir pour les poser ou les enlever. C'est d'ailleurs si vrai que cela m'était déjà arrivé un jour. J'ignore si je l'ai convaincu, mais devant une telle logique, il est peut-être resté perplexe un bon moment. J'en ris encore.

 

J'ai pu constater qu'on nous considérait comme des enfants bien que la fourchette d'âge fût environ de vingt à quarante-cinq ans !… À la fin, on finit par ressembler à ce que l'on attend de nous. Ils n'ont pas cru une seconde que je pouvais être enceinte et ils n'ont pas non plus fait le test de grossesse pour vérifier. Bravo ! Les ai-je troublés au point de leur faire oublier que j'étais mieux placée qu'eux pour en soupçonner la réalité. J'étais alors enceinte de huit ou neuf jours ! Toutefois, je leur concède que mon discours à ce sujet était des plus déroutants. Je ne m’y étendrai pas. J'ai déploré l'énorme problème de communication qui s'est posé durant toute cette phase de ma maladie, avec le corps médical, notamment le manque de prise au sérieux de tous mes propos, de même que la manière de me poser les questions et leur contenu. Je voyais bien que presque tous étaient prisonniers d'un concept lié à l'image qu'ils percevaient de moi à travers ce que la société et l'étude de la psychiatrie leur avaient appris. Mais j'étais incapable de l'exprimer verbalement. Je l'ai fait par des rôles et des actes qui n'ont pas toujours été compris. Ma sœur m'a dit qu'elle m'a vue jouer au psychiatre et que je voulais soigner tout le monde, y compris les médecins. Mais ce n’était pas du tout un jeu pour moi ! Un médecin lui a même demandé de l'aide pour essayer de distinguer ce qui était normal et ce qui était lié à la maladie. L'expression de ces incertitudes me prouve qu'il était sur la bonne voie. À mes yeux, seul le médecin de S.O.S. psychiatrie s'y est bien pris. J'ai été très déçue par les autres qui n'ont fait qu'alimenter mon délire au lieu de me replacer dans l'axe du centre de contrôle. Je ne puis en conclure qu'une chose : ils en ignorent l'existence !  (2)

 

Note 2. Je sais à présent que cette connaissance est un des facteurs majeurs qui m'ont permis d'aller jusqu'au bout. Mais je sais également que tout le monde n'a pas la chance de revenir de ce voyage. Je ne le souhaite à personne. La seule chance que j'ai eue, c'est d'avoir dans ma mémoire innée et acquise tous les éléments indispensables pour le faire et que de nombreuses mains se soient tendues vers moi.

 

 

Le soir même, on m'a donné un médicament, j'ai refusé de le prendre. Comme l'infirmier insistait, j'ai demandé à voir le flacon. Je pensais qu'ils pouvaient m'empoisonner, je savais que le service était dirigé par des S.S.. Une fois le flacon en main, mon idée première était de contrôler ce qui m'avait été prescrit. Mais n’ayant obtenu qu'une idée de la molécule à partir de son nom et aucun renseignement sur ses effets, j'ai alors pensé à me fier à la numérologie. J'ai mis autant de sérieux que pour la méthode d'identification précédente. Je n'ai souri qu'après avoir fini de compter mentalement le nombre de lettres du médicament. Douze était un bon chiffre, d'après mon seul sentiment ; donc, le médicament était bon. J'y ai cru pour l'occasion et mon résultat m'a permis d'offrir à mon interlocuteur un visage serein et rassuré. Par ailleurs, je n'y crois pas du tout et je trouve ça stupide. Ceci montre le sérieux que j'accordais aux médicaments pendant cette phase de ma maladie. De plus, à mes yeux, cela laissait l'impression au corps médical que je contrôlais parfaitement la situation malgré ma position carcérale. Plus tard, j'ai recompté, je m'étais trompée, mais comme j'étais toujours en vie, j’ai été satisfaite. (3)

 

Note 3.  Je reconnais néanmoins que j'ignore tout de la numérologie, et que par ailleurs, il y a des nombres magiques par le message qu'ils contiennent. 3,14159..., par exemple, est relié indiscutablement à la sphère et au cercle. Sa connaissance et son mode d'utilisation sont indispensables au calcul du volume et de la surface correspondants. Je sais aussi que la sphère, le cercle…, l'hélice sont représentés un nombre infini de fois dans l'univers à l'échelle tant macroscopique que microscopique.

 

 

Un jour, j'ai eu un entretien avec de jeunes médecins : un châtain clair qui avait l'air angélique (j'ai cru un moment que c'était l'Ange Gabriel…) gentil, au visage serein et un brun à l'air sombre plutôt mal à l'aise. Ils étaient tous les deux assis sur un banc contre le mur en face de moi, sur une chaise, dans une toute petite pièce dénudée, et sans fenêtres. Je me suis demandé où ils avaient pris le scénario. Le brun avait une attitude de malade mental, recroquevillé sur lui-même et se tenant la tête comme pour l'empêcher de tomber, il ne me regardait même pas en face. Je cherchais comment j'allais faire pour le soigner, surtout qu'il me semblait bien atteint, et quoiqu'ils s'étaient présentés comme étant les médecins. Le plus jeune aux cheveux clairs avait un petit côté adolescent, mais il me semblait plus équilibré, calme intérieurement. Je me suis demandé s'ils avaient conscience de l'effet qu'ils avaient pu avoir sur moi. J'ai pensé qu'ils s'étaient mis en quatre pour alimenter mon dysfonctionnement cérébral, pour mieux l'observer et s'en convaincre, ou alors pour m'aider à en être convaincue ? Pour ma part, je me suis efforcée pour contrôler la situation. Car, je ne les voyais plus, mais bel et bien deux autres personnes à leur place. C’étaient deux de mes cousins : l'un d’eux, brun, est décédé après avoir fait une chute du haut d'un viaduc, il souffrait d'une psychose. J'étais alors adolescente, et je me souviens que son angoisse était telle que l'on avait du mal à le regarder. Son regard terrifié était si fuyant que même pour l'aider, on ne savait plus comment faire. Il nous effrayait complètement. Cela m'a beaucoup affectée de ne pas savoir comment lui tendre la main. Cela a été très dur aussi d'apprendre son accident, puis sa mort. Je rencontre régulièrement l’autre jusqu’à ce jour. Sur le coup, j’ai pensé qu’ils s’étaient réincarnés en médecins. Mais cela me rendait perplexe pour le deuxième. Troublant !…   (4)

 

Note 4.  La résolution de cette énigme a été très pénible à vivre. J'ai eu la chance d'avoir des repères fiables dans le temps, entre autres, mon deuxième cousin vivant. Elle m'a laissée dans le doute jusqu'à ce que je puisse écrire ces lignes. Tous ceux qui connaissent l’incertitude sur la réalité de faits savent de quoi je parle.  Les conditions extérieures de notre entretien (un vase clos) m'ont fait halluciner… À moins que mon état n’ait suffi !... Le médecin qui était dans le doute l'a exprimé inconsciemment par l'expression de son visage, de même que celui qui n'en avait pas à ce moment-là. Cet ensemble de facteurs et probablement certains éléments de ressemblance ont provoqué ma double hallucination, dont l'image est gravée dans ma mémoire acquise. Eh non ! Pas de mon imagination ! Ce scénario, ils ne l'ont pas choisi, il leur a été imposé par la personne qui a conçu la gestion des locaux du service, qui elle-même n'avait pas non plus le choix... Voilà ce qu'on obtient lorsqu'on transforme un bâtiment conçu pour sa fonction initiale. Ces médecins n'en ont rien su, je ne voulais pas aggraver mon cas à leurs yeux. Avec plus de recul, je pense sincèrement que le travail du corps médical devrait en tout premier lieu et toute première intention être consacré à la mise en confiance du patient et que sans cela, tout le reste est bien inutile : les observations, les enregistrements vidéo, les conclusions, le temps passé… Je n’ai été là qu’un cobaye de laboratoire : on m’a peut-être induit sans le savoir une réaction hallucinatoire et cela n’a pu être transcrit dans le rapport de l’entretien, car j’ai sauvegardé ce qui me restait de liberté : paraître pour ne pas communiquer avec ceux pour qui je n’existais pas. Et même en supposant que mon hallucination ne fût pas un artefact de laboratoire, on ne peut que constater une chose : j’ai masqué cet événement.

 

 

Une autre fois, j'ai commencé à raconter à un médecin, l'expérience que j'avais vécu encore étudiante, l'histoire du diamant noir. J'ai demandé que l'on contacte Ronald D. Laing. Sa réaction : la fuite et l'absence de réponse à ma demande m'ont fait comprendre que j'aurais mieux fait de me taire. J'en ai conclu que pour eux, j'avais mon compte. En gros, j'étais folle. De plus, c'était une récidive. Je me suis bien gardée de lui parler d'autres difficultés rencontrées pendant les années suivantes, je ne voulais pas lui noircir davantage le tableau. Et je vais m’arrêter là aussi avec vous sur cette période-là, parce que vraiment, c’est sans fin, et je ne pense pas que ce livre soit un bon cadre pour ça.

 

Cette incompréhension m'a poussée à rechercher la communication avec les autres patients. Vivant la même expérience à des degrés divers, avec des manifestations extérieures très variées, nous étions sur la même longueur d'onde, mis à part quelques exceptions. Parmi eux, j'ai rencontré des personnes sympathiques, d'autres moins. Chacun d'entre nous avait successivement des phases euphoriques et des phases angoissées. Nous errions dans la sphère de la conscience. Cela nous entraînait dans des jeux de rôles divers, dont celui que nous jouions dans la société. Parfois des malentendus s’installaient, mais ils étaient toujours assez vite éludés grâce à la faculté d'adaptation de tous. Pour une malade très réfractaire au jeu, c'était beaucoup plus lent. Elle prenait sa maladie très au sérieux. Elle n'était pas là pour rire, mais pour se soigner. Je devine cependant que sur les points qui lui étaient personnels, elle nous devançait. Cela paraît peut-être évident, mais on ne soupçonne pas que cela puisse aussi nous arriver tant qu'on n'est pas passé par là.

 

L'entretien avec les deux jeunes médecins m'a propulsée dans un rôle de soignant. J'ai pris mon travail très au sérieux. Cela m'a, de surcroît, permis de mieux accepter ma situation et de vivre plus sereine dans ce milieu de proximité et d'enfermement. La surface du service, prévue pour une vingtaine de personnes était très réduite. Les seules activités possibles ou prévues étaient : 

  • communiquer : facile, beaucoup ne demandaient que ça
  • s'isoler : très dur à réaliser
  • jouer aux cartes quand on voulait bien nous les fournir
  • lire les revues que certains patients amenaient
  • regarder la télévision, si c'était l'heure prévue et si le choix de la chaîne par les malades nous convenait
  • calculer notre coup pour avoir un droit de sortie, accompagné ou seul, dans ou hors de l'hôpital, pour une demi-journée ou un jour complet
  • regarder par la fenêtre
  • les entretiens avec les médecins.

 

À part pendant la nuit, on pouvait fumer par contre, le nombre de cigarettes que l'on voulait. Le plus grave à mes yeux, est que nous n'avions pas d'activité qui nous permette de nous concentrer sur quelque chose de constructif et indépendant de nos problèmes. Ce n’est pourtant pas la créativité qui nous aurait fait défaut.

 

J'ai réparé la boîte à musique de Sophie, vingt ans, âge mental environ cinq ans au moment où elle était hospitalisée. C'était un peu choquant, mais je faisais comme si de rien n'était. Je m'adressais à la petite fille, je lui ai servi un peu de maman le temps de la réparation. Comme ses yeux brillaient quand je la lui ai rendue et que la petite danseuse s’est mise à tourner au son de la ritournelle dès qu’elle l’a ouverte ! Merci madame, m’a-t-elle dit, sur un ton enfantin. J’ai fait mon maximum pour lui cacher ma stupéfaction, en découvrant qu’elle était redevenue une petite fille, et qu’à ses yeux, j’étais une dame ! Je n'ai pas su communiquer avec elle au-delà de cet épisode. Je me rends compte jusqu'à quel point allait mon ignorance du rôle de maman.

 

Olivier m'appelait ma copine. Je le voyais très atteint, et dans le mensonge jusqu'au cou vis-à-vis de lui-même. Je me reconnaissais en lui. Parfois, je le trouvais sympathique et même très agréable. Mais souvent, il me mettait très mal à l'aise. Il me faisait même peur. Je n'aime pas du tout quand on joue avec soi-même et encore moins quand on fait la même chose avec les autres. C'est ainsi que je l'ai perçu.  (5)

 

Note 5  Peut-être ai-je manqué d'humour ? Je reconnais que ce n'est pas mon fort. Peut-être est-ce mon comportement qui l'a poussé à se retrancher ainsi ? Je ne puis que constater, avec le recul, que c'est possible, mais que ma personne n'a jamais constitué qu'une des composantes parmi tant d'autres. Et que le résultat est le fait d'une dimension humaine sur laquelle je ne peux pas agir : la communication. Non seulement, on n'y est pour rien, mais on ne peut pas l'empêcher. On ne peut séparer ou faire rencontrer que des personnes. Chaque individu décide individuellement, consciemment ou non, si la rencontre doit continuer dans le temps et dans l'espace. Et la profondeur de la communication est totalement indépendante des facteurs précités. Je me rends compte maintenant que l'inconscience de la conscience est intolérable et pourquoi j'ai pu effrayer tant de personnes. Le boomerang me revient encore une fois en écrivant ce livre. Cela me prouve que je l'avais lancé à nouveau. C'était prévisible. Mais je n'ai pas choisi de refaire ce chemin « à tête reposée ». C'est en fait loin d'être le cas, mais occasionnellement, et pour des temps courts qui se sont réduits au fur et à mesure que j'ai avancé. Au moment où je l'écris, je totalise environ soixante pages en discontinu et ça ne dure déjà plus qu'une demi-heure. Et je ne le ressens que sous forme de palpitations cardiaques. C'est tout de même mieux ! Je voulais seulement prouver qu'on pouvait guérir d'une psychose. Montrer le chemin. Jamais je n'aurais imaginé que cela se passerait ainsi. J'avoue n'y avoir même pas pensé. Contrairement à ce qu'on m'avait dit ce n'est pas du courage qu'il faut d'abord pour prendre ce chemin, mais une bonne dose d'inconscience. Et maintenant, je ne conseille le mien à personne.

 

 

Nous parlions beaucoup entre nous, on était une joyeuse bande d'environ vingt personnes. Seule Sarah pleurait souvent. Pour les autres, c'était plutôt le rire. De cette période, je garde un bon souvenir, sauf pour deux événements que j'ai très mal vécu. Je regarde ça avec ma lorgnette d'autant plus aisément que ce n'est pas à moi d'aujourd'hui que cela est arrivé, mais à un moi en désordre. Par contre, quand je songe que j'ai pensé soigner les autres dans cet état, cela me fait frémir.

 

Le premier s'est produit le lendemain du jour où j'ai fait mes tests de grossesse. On m'avait donné une autorisation de sortie pour aller chercher des vêtements. J'ignore pourquoi mais je n'avais pas compris que je devais revenir à l'hôpital. Ma première préoccupation a été de vérifier, tout en cheminant, si j'étais enceinte.  -  Sur mon lieu de travail, à côté de la place des Vosges, il y avait un frigo rempli de kits pour les démos. J'ai fait les tests sur urine, là, on ne faisait pas de prises de sang. J'ai fait le test HCG en triple et ... positif ! :)  Wouoh !!!  -  Après avoir été l’annoncer, munie de mes godets, à mes collègues de bureau, je me suis rendue chez moi, et j'ai passé quelques coups de fil pour annoncer la bonne nouvelle.

 

J'avais promis de rapporter des cigarettes à plusieurs personnes hospitalisées avec moi. En fin de journée, je suis partie faire ma livraison. Le surveillant ne voulait pas me laisser repartir et a finalement appelé un médecin de garde, lequel n'ayant pu me convaincre, m'a fait signer une décharge avant ma sortie. Je ne le connaissais pas, je ne pouvais apporter aucune crédibilité à ce qu'il me disait, je n'étais même pas sûre qu'il était médecin ! En gros, je doutais de tout, sauf de moi. Le lendemain, ma sœur a débarqué et a eu envie de faire un tour dans le quartier de Notre-Dame. Comme on était à côté de l'hôpital, elle a souhaité faire une visite dans le service où j'avais séjourné pour savoir ce qui s'était passé. Et ce n'est que lorsque la porte a été fermée à clef, de nouveau, après notre passage que j'ai compris. Ma propre sœur venait de me faire enfermer. Je ne m'étais doutée de rien. Je me suis sentie trahie. Je suis entrée dans une colère folle qui s'est manifestée par des cris et des mots, je ne vois pas comment l'exprimer sur ce papier, sauf que je crois avoir hurlé comme un loup. Ceci l'a beaucoup traumatisée et je sais qu'à ce jour, ce n'est pas oublié pour elle. Cette violence verbale était mon seul moyen de défense. Je croyais vraiment être dans une prison d'extermination et qu'après m'en être échappée, elle m'y ramenait. Il y avait de quoi rentrer en furie. Elle m'a confié plus tard que c'était bien réel, on lui a fait signer un papier pour me faire hospitaliser contre mon gré. Un médecin lui avait téléphoné pour qu'elle vienne de province. Pour la convaincre du bien-fondé de sa venue, il lui avait raconté que j'étais en danger de mort, que je risquais de me suicider... Ce n'était pas un peu trop fort ? J'étais malade à cette époque, certes, mais alors plutôt heureuse, parfois même tant que j’en éprouvais une gêne vis-à-vis des autres ! Tenez, par exemple, il ne m’a même pas contactée. Il aurait pu me téléphoner pour me demander de mes nouvelles, de venir pour un entretien à l’hôpital, pour arriver à son objectif. Souffrait-il d'un manque d'imagination ? En avait-il trop ? Peut-être tout simplement une carence de savoir-faire. En tout cas, il lui a fait une très grande peur. Ce qui va suivre me fait voir maintenant qu'il y avait une grande part d'imprévisible dans mon comportement et explique qu'il ait pu craindre le pire.

 

Le deuxième, c'est quand j'ai senti une forte émanation de gaz dans la pièce commune. Mazda, le surveillant refermait la fenêtre. Un malade s'y opposait. Ils veulent nous gazer ! me précipitant pour la rouvrir. Mais Mazda la refermait aussitôt. Comment faire pour l'empêcher ? Je me suis souvenue que le sucre était très résistant et j'en ai aligné des morceaux de manière à ce que les battants restent bloqués grands ouverts. Ça marchait !... Mais il a fini par découvrir le subterfuge. Comme j'insistais, il m'a conduite dans le petit réduit vitré qui servait de bureau et de cuisine au personnel, vers ce que je supposais être la source de gaz. Tu vois, il n'y a pas le gaz ici, tout est électrique, m'a-t-il dit. J'ai vérifié, cela a un peu calmé ma peur, mais je sentais encore le gaz. Puis l'odeur a fini par s'estomper.[6] En fait, on était en décembre, la température à l'extérieur avoisinait zéro... La fenêtre avait été ouverte pour aérer la pièce, une bonne partie des malades fumant cigarette sur cigarette, ou presque. J'en faisais partie d'ailleurs, trois paquets par jour pendant cette période !… Je suis par ailleurs très frappée par la consommation frénétique de tabac des fumeurs hospitalisés avec moi. Que se passerait-il si on mettait la personne en état de manque à ce moment-là ? Nous étions dans un état de dépendance avancé, à un point tel que fumer devînt aussi vital que manger, pour ne pas dire plus. L'inaction à laquelle nous étions contraints et la situation d'impasse et d'angoisse presque permanentes me donnent une explication qu'il serait important d'approfondir.  (6)

 

Note 6.  Pour ce qui est de l’événement précédent, je sais maintenant ce qui l'a provoqué. Ma mémoire olfactive est très développée. Un mot ou une situation peuvent me ramener une odeur sans que l'objet qui la dégage ne soit présent, un peu comme certains voient des fantômes. Je me souviens, par exemple, de l’odeur infecte qui m’envahissait dans l’amphithéâtre de chimie pendant les cours de synthèse organique sur les savons ! J’aurais préféré le parfum du savon de Marseille… J’en avais d’ailleurs parlé à un des professeurs de chimie organique qui m’avait répondu que c’était intéressant et que l’université comptait un laboratoire effectuant des recherches sur ce sujet.  Par ailleurs, j'avais auparavant toujours été très perméable aux films, on peut dire que j'étais un peu comme une éponge, je ne pouvais prendre aucun recul, je subissais, je le vivais ! Étudiante, j'avais vu un film très dur, très détaillé sur l'holocauste qui m'a profondément marquée. Peu de temps avant d'être hospitalisée, un incident s'est produit alors que j'avais un plat au four. J'ai voulu abaisser la température de cuisson et les flammes se sont éteintes. Je l'ai découvert quand un heureux hasard m'a conduite au salon pour répondre au téléphone. La différence d'odeur m'a alertée. J'en ai tremblé de tout mon corps après avoir fermé le robinet de gaz du four, ouvertes grandes les fenêtres, puis le four lui-même. J'ai choisi cet ordre pensant que cela pouvait éviter une explosion, j'ignore si c'est justifié. Je m'apprêtais à allumer une cigarette ! A l’hôpital, persuadée d'être dans un centre d'extermination, il m'a suffi de voir une personne qui s'opposait à ce qu'on referme la fenêtre pour me faire revivre une très forte odeur de gaz et de trouver à tout prix le moyen d'empêcher une asphyxie collective.

Je peux dire que ma mémoire olfactive associée à des observations de faits réels m’a fait vivre une hallucination. J’ai pu la contrôler grâce à la présence d’esprit du surveillant et à son grand professionnalisme.

 

 

Je veux remercier Mazda, personnage inoubliable parmi le personnel du service. Si j’ai bien compris, il avait hérité de ce surnom car son nom de famille avait une sonorité très proche. Mais aussi parce que pour nous, il apportait la lumière. Si mes souvenirs sont bons, il avait vécu chez les touaregs autrefois, il serait à la retraite dans quelques mois et voulait y retourner. Il nous faisait rêver en nous racontant les nuits sous les étoiles. C'était un homme bon et très sensible à ce qui arrivait à chacun d'entre nous. Il écoutait nos problèmes. Il nous aidait à régler nos conflits. Il nous montrait comment le régime imparfait auquel on était soumis pouvait, malgré tout, nous aider à avancer. Si le médecin nous interdisait les sorties, dans la mesure du possible, il nous faisait faire un petit tour, en cachette, dans l'hôpital, sous sa surveillance, quand il voyait qu'on allait craquer. Il était notre soupape de sécurité. L'ambiance du groupe des malades était toujours bien meilleure quand il était là. Il savait animer et sourire. Il n'avait pas peur de nous. Quand il n'était pas là, on l'attendait. S'il n'avait pas été là, je me demande ce que je serais devenue et ce que j'aurais fait. C'est pour ces raisons que j'ai cru, par moments, qu'il était le véritable chef de service qui travaillait sous le couvert de surveillant.

 

Au fait, j'ai eu finalement droit à une échographie trois jours après mon retour à l'hôpital. On m'a bien sûr recommandé d'avorter, ce que j'ai refusé énergiquement. Mais on ne m'a ni conseillée, ni aidée à assumer ma grossesse. En tout cas, je n'en ai aucun souvenir, peut-être ai-je des trous de mémoire ? C'est vrai aussi, qu'en général, cela ne se fait pas, tout simplement parce que cela ne pose pas de problème.

 

Je n'ai pas eu le droit de téléphoner pour annuler mon rendez-vous avec le jeune homme du congrès. J'étais alors encore interdite de téléphone. J'en ai été furieuse, je trouvais ce jeune homme sympathique. De plus, ce n'est pas mon style de ne pas honorer mes invitations, c'est la seule fois dans ma vie où cela s'est passé et j'en ai eu honte pendant des années, je n'aime pas disposer des gens. Quand j'ai pu le joindre plus tard pour lui présenter mes excuses et lui expliquer, il n'a pas été content. Je pense même qu'il ne m'a pas crue. Il n'a d'ailleurs pas donné suite à nos relations. J'imagine que, venant de banlieue, après un long trajet, il m'avait attendue dehors, qu'il avait peut-être même refusé un weekend pour venir me voir. Cela m'a beaucoup ennuyée. Je n'ai toujours pas compris pourquoi le médecin m'a interdit de téléphoner, même accompagnée. Avait-il peur que je m'étrangle avec le câble ? Peut-être était-il en fait très clairvoyant et voulait éviter que je fasse du mal aux autres ? Honnêtement, voici ma conclusion : la vie privée de ses patients ne l'intéressait pas et il faisait appliquer bêtement les consignes. Vous penserez peut-être que j’insiste sur quelque chose d’anodin. Ça ne l’était pas pour moi, et ce fut d’autant plus dur, que c’était la deuxième fois depuis que je vivais à Paris, que je recevais à déjeuner une nouvelle connaissance chez moi. Et la première fût un fiasco !…

 

À partir d'un instant que je n'arrive pas à dater, les repas sont devenus pour moi, un moment privilégié. Auparavant, déjeuner dans ce réfectoire m'effrayait, compte tenu de la forte promiscuité, qui plus est aléatoire. La pièce elle-même au décor trop froid aurait pu être bleu pâle au lieu de jaune pâle !… La présentation du repas était très impersonnelle. C'est vrai qu'on y est habitués dans les collectivités, mais j'avais quitté la vie universitaire depuis longtemps. Bref, j'étais plus ou moins coincée entre ces trois facteurs. Je n'ai jamais su qui a commencé. Mais toujours est-il que tous les repas commençaient par ce rite : on donnait, échangeait les plats. La communication n'était pas que verbale. Nous avions des plateaux complets style cafétéria avec un récipient par plat. Les offres et les demandes se faisaient à la criée, pas trop fort, mais assez pour que tout le monde l'entende. Les réponses ne se faisaient pas attendre. Puis commençait le défilé des barquettes qu'on faisait passer à son voisin pour l'intéressé. Pouvait alors commencer le repas, de bon appétit, selon les vraies envies de chacun. Ce n'était pas toujours compatible avec les régimes dictés par les nutritionnistes pour certains ou imposés par les cultes pour d’autres. Ce n'était donc pas facile à vivre pour tout le monde. Mais je pense que tout le monde a su faire ses choix.

 

 

Durant ce séjour d’environ un mois à l'Hôtel-Dieu, j'ai vu la télévision en relief ! J'étais émerveillée car je n'avais jusqu'alors vu des images en relief que grâce à des artefacts :

 

  • à Figeras, au musée de Dali d'où nous sommes sortis dans un grand éclat de rire, quand nous y sommes allés pour la première fois avec mes amis,
 
  • puis à Paris, au Grand Palais, dans l'exposition Donation Lartigue, « Le troisième œil », de Jacques Henri Lartigue. Vers la sortie, une vidéo nous permettait de le voir et l'entendre, l'émotion dans la salle était très forte. Là, personne n'a senti le besoin d'évacuer le trop-plein. Tout ça grâce à des miroirs !

 

  • la fois suivante, un jeune homme de Bahreïn qu’un de mes amis m’avait présenté, m'a guidée dans le musée du monde arabe. Je n'aurai jamais osé m'y rendre seule. Trop d'inconnu m'effrayait. On a mis les lunettes spéciales, un verre rouge, l'autre vert : magique ! Mais, en réalité, ce qui m'a le plus marquée ce jour-là, c'est la Ka'ba. Ce n'était pourtant qu'une maquette, mais ses 4 ou 5 mètres de haut me suffisaient. J'y ai vu d'abord un cercueil, à cause du brocart noir brodé. Puis, j'ai vu une énorme boîte de laquelle une quantité d'énergie infinie était prête à jaillir, toujours à cause du brocart. J'ai vu un tout petit enfant. J'ai vu la colère. J'ai vu la tristesse. J'ai eu la gorge nouée, j'ai fait le silence en moi, encore pour la même raison.
 
 

Mon frère m'a expliqué deux jours après que le relief venait de la vitre qui était devant le poste enfermé dans une boîte avec une porte vitrée. Pour la lutte contre le vol ? À moins que ce ne soit Mazda qui en ait eu l'idée ! Autre chose géniale, je n'avais plus besoin de correction pour ma myopie au bout d'un certain temps. J'avais jeté mes lentilles souples car elles étaient devenues brumeuses d'usure. N'ayant pas eu la possibilité de consulter et n'aimant pas les lunettes, je m'en étais passée. J'ai pu voir jusqu'aux numéros minéralogiques dans la rue au loin depuis l'étage du service. Étrange, non ?

 

 

Stéphanie partageait ma chambre. Elle était plus petite que moi, ou alors sa maigreur me l'a fait croire. Elle avait la maladie de Hodgkin. J'ignorais que cette maladie donnait ces vilains boutons sur le visage. Elle devait manger pour atteindre quarante-cinq kilos afin de retourner dans un autre hôpital pour se faire soigner. C'était son objectif. Anorexique, elle était prise entre deux feux. Elle a montré une volonté et un courage extraordinaires dans cette dure bataille. Elle m'a touchée. Je n'étais pas très douée dans ces domaines-là. J'ai fait de mon mieux pour l'aider. Il fallait chasser toutes ces idées de : « Je n'y arriverai jamais », d'impossibilité, lui redonner confiance en elle, la valoriser dès que j'en voyais une bonne raison. Je ne voulais pas qu'elle abandonne. On passait la nuit à discuter dans le couloir avec une cigarette, sauf quand on se faisait surprendre. Je lui ai peut-être parlé de l'expérience de mon ex-belle-sœur qui avait gagné dans la bataille de la maladie de Hodgkin. Elle a finalement atteint son premier objectif. Et pour son départ du service, je lui ai offert ma palette de maquillage. C'est important quand on ne va pas bien, cela illumine le visage et change le regard des autres. Stéphanie, où que tu sois, Merci ! Pour tout !

 

 

Sandrine recherchait un stage ou un emploi pour les vacances. Nous avons rédigé sa lettre de candidature. Nous avons longuement hésité à propos de l’adresse en haut à gauche, j'ai bien peur qu'on ait opté pour celle de l'hôpital. À moins qu'elle n'ait rectifié à la fin. Je n'ai pas compris de quoi elle souffrait. À part qu'elle était parfois un peu endormie, en apparence. Je soupçonne qu'on l'ait crue malade parce qu'elle avait un comportement qui pouvait paraître insolite en France. Venue des Antilles, elle avait simplement retrouvé son identité. Et c'est difficile d'être reconnu par des personnes qui n'ont pas la même mémoire ancestrale, ou qui la nient. Mon point de vue peut vous paraître sans fondement. Il est étayé sur le souvenir de comportements d’Africains qui ont suivi les cours de maîtrise avec moi à l’Université. Je pense en particulier à un jeune homme dont j’ai oublié le pays d’origine, qui faisait tout au ralenti. Il mettait beaucoup plus de temps que les autres pour comprendre intellectuellement les cours. Même pour marcher, il allait tout en lenteur, on aurait dit qu’il dansait. Il était par ailleurs d’une très grande stabilité. Néanmoins, il était parfois triste de rencontrer autant d’incompréhension et de rejet, ce qui, la plupart du temps, ne paraissait pas l’affecter. Elle est repartie plus tôt que moi avec ma belle veste grise souris, je trouvais qu'elle lui allait bien mieux qu'à moi. J'ai distribué pas mal de choses, mais c'était sincère et je ne l'ai pas regretté, même si elles me plaisaient beaucoup. De toute façon, si on fait don d'un objet auquel on ne tient plus, on n'offre rien, on se débarrasse. J'ai aussi beaucoup reçu des autres. Très souvent, on s'est trompées dans les tailles de vêtements !  (7)

 

Note 7.  J’imagine à présent qu’elle ne pouvait comprendre que par l’expérience ces choses qu’elle était incapable de comprendre intellectuellement. De la même manière, j’ai abordé la maternité au prix de surmonter d’énormes difficultés que la majorité des femmes ont de la peine à croire. Ingrid pourrait aussi nous en donner des nouvelles.

 

 

Pour ma part, j'ai été jusqu'à offrir mon stylo, que j'aimais tant, à Georges, banquier, alors qu'il en possédait un de luxe ! Il me l’a d’ailleurs rendu presque aussitôt. Chaque fois qu'on a donné, c'était notre cœur qui parlait. Je n'ai pas très bien compris pourquoi ce comportement a tant inquiété les médecins. J'ai toujours fonctionné ainsi. Mais je n'en suis plus à ça près, il y a tant de choses qui me dépassent... Bon, c’est vrai, mon comportement était quand même accentué et j’ai même parfois regretté ma jolie veste, mais j’ai quand même la consolation d’avoir fait plaisir, et je ne le regrette pas…

 

 

Ingrid venait d'accoucher d'un petit garçon, et elle était bloquée dans l'inaction depuis son accouchement. Je savais que cela pouvait se produire. J'avais lu dans un des livres de Françoise Dolto, comment elle avait aidé une jeune femme à sortir du coma dans lequel elle était tombée, tout de suite après son accouchement. Néanmoins, je ne suis pas arrivée à la comprendre. Très secrète, très discrète, elle m'a paru inaccessible. Elle communiquait surtout par le langage corporel, et de temps en temps, verbalement, avec d'autres malades. Elle avait soit l'air très heureux, soit l'air endormi. Un jour, nous avons fini par communiquer oralement. Je lui ai témoigné ma confiance en lui donnant un chèque en blanc signé pour acheter de la laine pour tricoter un habit pour mon bébé. Je n’avais pas le droit de sortie. Ma famille, éloignée, ne pouvait pas me rendre ce service. Je n’avais pas d’argent liquide. La seule solution qui me restait pour faire cet achat était celle-là. C’était la seule personne parmi tous ceux que je côtoyais à ce moment-là qui, à mes yeux, pouvait effectuer ce parcours sans écart. Elle ne m’a pas déçue. Ma sœur en a été furieuse, quand elle est venue me voir. Elle a fait immédiatement opposition au chèque. Sa réaction et surtout ce qu'elle a exprimé sur le sujet, m'ont fait douter, imaginer le pire. Elle a, ensuite, surveillé toutes mes opérations financières. Quelques jours plus tard, Ingrid m'a rendu le chèque, elle n'avait pas eu le temps de faire l'achat.

 

Elle avait beaucoup de revues sur les bébés et la mode était aux grossesses multiples. Ce n’est pas étonnant avec les F.I.V. en masse. Cela rapporte beaucoup d'argent à certains, aux frais des citoyens. Un avantage supplémentaire, c'est de faire oublier un peu plus les enfants des pays sous-développés qui meurent « derrière les écrans de télévision ». Pour le moment, je trouve que cette technique génère des comportements bien étranges chez les humains. Par ailleurs, je trouve la F.I.V. merveilleuse pour le jour où l’on ne se voilera plus la face collectivement et que ces problèmes seront réglés. Mais peut-on encore se permettre de rêver ? Bref, toutes les semaines, un bébé de plus sur la couverture du magazine, cela s'est arrêté aux quintuplés. Moi, j'ai jeté mon dévolu sur dix-huit bébés, si j'en crois un de mes amis à qui j'ai raconté au téléphone qu'il fallait vite que j'accouche car ils étaient en train de me dévorer le ventre, et qu'en plus, ils étaient très voraces. Je note bien : si j'en crois, car cela me paraît tellement fou que je n'arrive pas à le croire. Ce n'est pas du tout un souvenir et je le connais très blagueur et du Midi en plus… Mais après vérification, il confirme, à ma plus grande stupéfaction ! Dans ma mémoire, ils étaient trois. D'ailleurs, je revois nettement les trois patients qui se sont portés volontaires pour être baby-sitter.

 

 

Gérard était détaché de la prison. Un gendarme montait la garde pour lui, derrière la porte fermée à clef. Je ne lui ai pas fait l'humiliation de lui demander ce qui l'avait conduit derrière les barreaux. Il était gentil. Plus tard, je lui ai même écrit par l'intermédiaire de sa sœur. Il était toujours en détention. Il m'a répondu avec une écriture très immature et l'orthographe d'une personne qui n'écrit que très rarement. Il ne faisait pas partie des favorisés. J'aurais bien continué, mais mon état de santé ne me l’a pas permis.

 

 

Richard était dans l'extase. Je l'aimais bien, on a beaucoup discuté et ri ensemble. Il m'a apporté le calme. Je l'avais trouvé lumineux au sens où il dégageait vraiment de la lumière. La peau de son visage avait une certaine transparence. Je n'ai pas compris ce qu'il faisait dans ce service, pas plus que pour d'autres d'ailleurs. Maintenant, je le comprends mieux. Je sais que pendant le traitement de certaines maladies graves, on peut observer des problèmes d’ordre psychiatrique. Quelque temps après sa sortie de psychiatrie, des malades l'ont vu sur un chariot dans les couloirs de l'hôpital, ils ont parlé avec lui. Il était hospitalisé dans un autre service. J'aurais bien aimé le revoir, mais je n'ai pas pu. Je n'avais pas le droit de sortie. Sur le moment, j'ai pris ça comme une punition. Je pense maintenant qu’ils ne l’ont pas fait exprès, ils sont si loin de leurs patients. Ne cherchez aucune ironie dans ce propos, mais plutôt l’expression de ma profonde tristesse. Quelques mois plus tard, la réception du faire-part de décès que m’a adressé sa famille a provoqué en moi une émotion intense et un profond regret de ne pas l’avoir revu.

 

 

Scully, qu'es-tu devenue ?

 

 

Nicole me rappelait La Belle au Bois Dormant, il serait plus juste de dire la belle endormie. On ne peut pas dire qu'elle était malheureuse, mais elle ne réagissait presque à rien. J'ai repris pour elle mon rôle de couturier et je lui ai dessiné une robe de soie qui devait la mettre en valeur. J'avais prévu de la confectionner à ma sortie d'hôpital. J'y ai renoncé en voyant les difficultés rencontrées en ourlant le drap et la taie de soie du bébé, de même que le résultat. L'état de mes finances y a contribué aussi.

 

 

Une autre caractéristique de mon état était la sensibilité exacerbée, en particulier pour l'art. Je voyais très bien la profondeur. J'ai profité aussi de ce séjour pour mettre en page des photos que j’avais prises à l’automne. Il s'agissait de peinture et collages sur linoléums réalisés par mon ami José Meix. J'étais montée sur un très grand escabeau sur la pelouse pour avoir le recul nécessaire. Tout en faisant ce montage, j'examinais une des photos et je constatai qu'il avait représenté l'infini. Comment diable avait-il fait cela sur un lino de quatre mètres qu'il avait peint à plat ! J’ai été très impressionnée. Je pensais que seul Michel-Ange savait faire ça. Vous retrouverez certaines des photos dans l'album de ce blog.

 

Un jour, mon frère est venu me voir, et j'ai eu droit à une sortie accompagnée dans l'hôpital ! Mon appareil photo en bandoulière, nous avons exploré le monument. C'est ainsi que j'ai réalisé un petit reportage-photo sur l'Hôtel-Dieu. Comment personne n'a encore pensé à exploiter cette richesse ? J'ai joué à la cachette avec les colonnes de la première cour et la perspective. On a même trouvé une rampe d'escalier de toute beauté. Je crois que c'est du roman, et que cet énorme bâtiment fut autrefois une annexe de Notre-Dame. Excusez mon ignorance sur l'architecture, mon intellect n'est pas aussi intéressé par la pierre que mon œil ! Quand vous pénétrerez dans le hall d’entrée, jetez aussi un œil sur les peintures au plafond. C’est plus contemporain. Prenez plutôt la peine de vous asseoir sur un banc… Et, regardez ! En attendant, consultez l'album photo.

 

Entre Noël et le Jour de l'An, des collègues de travail sont venues m'apporter le cadeau de l'entreprise. C'était un compact-disque de Anderson et Vangélis. Le comité d'entreprise avait une liste de cadeaux, dont des C.D.. J'avais donc exprimé mon souhait pour un disque de Vangélis quelques mois auparavant. Ne pouvant l'écouter à l'hôpital, j'en ai regardé les illustrations et lu les paroles de chaque morceau. Il parlait de vaisseau spatial et de voyage interstellaire. Derrière les barreaux, j'ai souvent rêvé éveillée que des êtres venaient me délivrer.  (8)

 

Note 8.  Auparavant, j'étais très sensible à tout ce qui est un peu surnaturel ou extraterrestre, je plongeais littéralement dedans. Maintenant, je peux voir, par exemple à la télévision, ces choses de façon très distante et mon intérêt s'est vraiment amenuisé. Il y a tant de choses plus importantes sur lesquelles on peut agir et vérifier les effets. Néanmoins, je regarde pour en tester la crédibilité.

 

 

Je ne me rappelle pas avoir été affectée par le fait de passer Noël et le Jour de l'An à l'hôpital. J'étais bien loin de ces préoccupations. Mais j'ai beaucoup été aidée par ma famille, bien qu'elle résidât loin. Mon frère a passé sa cinquième semaine de vacances chez moi, pour pouvoir me rendre visite tous les jours. Ma sœur est venue deux weekends. Merci encore ! Ils m'ont donné tout ce qu'ils ont pu. C'est vraiment un acte d'amour. Toutes les personnes qui ont côtoyé des malades psychiatriques comprendront.

 

Durant cette période, j’ai eu au moins trois moyens de prendre conscience que cet état ne pouvait être et n’était pas un aboutissement en soi.

  • J’en garde un souvenir de bonheur intense, mais qui de temps à autre pouvait m’amener jusqu’à la nausée tant la solitude qu’il engendrait m’était insupportable. Rien ne m’était plus douloureux dans ces instants que de ne pouvoir le partager.
  • La sensation d’éternité, d’immuabilité, d’immobilité est génératrice de plénitude, mais aussi d’impatience, par moments, on éprouve le besoin impératif que ça s’arrête.
  • La vérification du dysfonctionnement de sa propre perception de la réalité est de même très efficace.

Restent cette félicité si incroyable due à la découverte de la continuité, l’expérimentation de l’infini dans toutes les directions… Les mots me manquent… Le silence… L’océan… L’espace…, permettent de s’en approcher. Tout est vraiment en interaction, c’est inimaginable ! On a besoin de beaucoup d’humanité dans cet état-là. Et j’en ai rencontré à l’Hôtel-Dieu. Le médecin de S.O.S.-Psychiatrie faisait-il allusion à cette différence-là ?   (9)

 

Note 9.  Je ne percevais plus le temps. J’avais un sentiment d’immortalité. Tout apparaissait comme dissocié en tant que fait, événement, etc. L’activité continue de vérification des similitudes, des liens et des relations entre les faits, les personnes, etc., m’apparaît comme un moyen de le retrouver ou de combler ce vide. J’ai du mal à expliquer, il y a vraiment de quoi devenir fou… Ce n’est peut-être qu’un mode de fonctionnement préexistant à l’état inconscient mis en évidence par la rupture de perception du temps. Quand je pense que dans certains diagnostics, on trouve des expressions du style : incapacité de se fixer sur un sujet, (on pourrait en dire autant d’un chercheur effectuant une étude épidémiologique) ; procédurier, (il vaut mieux si on ne veut pas y perdre son âme…) Ou plus simplement : n’est-ce point une preuve que la personne est consciente ? …

 

 

C'est vrai, Sainte Isabelle est mon plus beau souvenir d'hospitalisation, tant au niveau expérientiel que communication.

 

Mais aussi la période de ma vie où j'ai eu le plus d'hallucinations, et je ne suis pas certaine de les avoir toutes identifiées. Voir article 45 par le lien ci-dessus.

 

18/11/2018

Ca, c'est sûr que je ne les avais pas toutes dentifiées. En particulier, celle qui m'avait leurrée sur l'identité du Pr Henri Grivois, et dont je ne retrouve pas la trace dans cet article, et qui pourtant, y était auparavant. Je vais bien la retrouver. Elle est peut-être dans l'article 45… Je n'ai fait le lien entre son identité et lui que 15 ans après environ,... un jour où mon mari m'appelait, me disant : Viens voir, le Professeur Grivois à la télévision ! Quelle ne fut pas ma surprise en voyant un de ceux que  j'avais identifiés comme étant des assistants du Professeur Grivois ! 

C'était lui ?  J'ai été très surprise. On pourrait l'être à moins. Je n'ai pas su comment m'y prendre, c'était compliqué. J'étais gênée. Il y a de quoi être troublée. Se poser la question si on peut faire confiance à ses propres sens. Avoir perdu à ce point ses propres repères, on ne sait plus à quoi se raccrocher. Du coup, je n'ai rien fait.

J'ai bien eu l'envie de le contacter, mais cela m'a semblé si tardif que j'ai abandonné l'idée. Même si j'étais gênée et je le suis encore. Je ne sais pas.

 

Je suis sortie environ au bout de six semaines. Je n'étais pas encore dans mon état normal: toujours en accélération, mais avec une bonne perte de vitesse. Je n'ai rien dit aux médecins, ils ne m'avaient rien demandé non plus. Cela m'arrangeait de partir et après tout, c'était eux qui diagnostiquaient. Sur quels critères ? Je l'ignore. À peine rentrée chez moi, je suis allée acheter l'appareil photo que j'avais vu dans une publicité à l'hôpital, de même qu'un piano électronique, plus d'autres choses dont je ne souviens plus et il a fallu un peu plus tard que je comble le découvert sur mon compte en banque par un emprunt. Je n’avais jusqu’alors jamais dépensé sans vérifier si j'en avais les moyens !

 

Le dimanche suivant, j'ai invité des amis à déjeuner. À la fin du repas, nous sommes allés sur la place des Vosges. Je m'y rendais souvent le weekend pour écouter le groupe de musique classique ou la harpe sous les arcades. Tandis que la nuit tombait, nous nous sommes dirigés à pied vers le boulevard Henri IV.

 

 

 

Nous avons traversé la Seine et nous avons marché jusqu'au Musée du Monde Arabe. Les couleurs dans le ciel étaient fantastiques. Les fumées des avions et les nuages grêles du soir se dessinaient rouges, oranges dans le ciel dont le bleu devenait de plus en plus sombre, sauf à l'horizon ouest. Quand on est arrivés près du musée, le rose avait chassé le rouge et l'orange. Le ciel, comme la façade du bâtiment n'était que de rose et de bleu. Il y avait un silence de fond. C'était splendide ! La féerie de la nature s'était mariée avec celle de l'architecture ! J'aurais bien continué ma pellicule sur la terrasse, mais elle s'était totalement déroulée ! Ce jour-là, je n'étais pas la seule à être illuminée... Tout le monde autour de moi s’extasiait devant ce spectacle phénoménal.

 

 

Je me rappelle avoir été quelques jours chez ma mère qui n'était pas très contente que je sois enceinte. Moi qui lui avais envoyé une jolie carte en noir et blanc, je crois me souvenir : sous un cerisier en fleurs, une grande et une petite silhouette, pour lui annoncer qu'elle allait être grand-mère une quatorzième fois ! Cela ne se serait pas passé comme ça si ton père avait été là ! m'a-t-elle dit. Je n'ai pas su comment cela se serait passé, elle ne m'a rien dit de plus à ce sujet. Qu'est-ce que ça aurait changé si mon père avait été encore vivant ? Avec le recul, elle avait peut-être raison. Elle était très peinée. Il y avait de quoi : sa fille était malade psychiatrique et en plus, allait être mère-célibataire. Avouez qu'il y avait de quoi être inquiet. Je suis allée aussi dans le Midi voir mes amis. Je me sentais plus en confiance chez eux. J'ai fait de belles ballades et des photos avec mon nouvel appareil.

 

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commentaires

B
<br /> <br /> Bonjour, je découvre ton blog. Je suis fascinée par les liens que beaucoup de bipolaires tissent avec la période nazie et les camps. Il me semble que nous sommes une génération d'après-guerre,<br /> inconsciemment très marquée par ces horreurs.Je me retrouve beaucoup dans tout ce que tu dis. Et je me dis que jamais je ne détaillerais par écrit comme tu le fais tout ce qui t'est arrivé. Les<br /> mots sont vifs et actifs dans les plaies refermées, mais mal. Amitié.<br /> <br /> <br /> <br />
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Paulette Benetton

Isère, ARA, France

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