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15 mai 2010 6 15 /05 /mai /2010 14:35

Parcours de santé mentale, [1994-2002] V1 autoédit. 2002  allégée, accueil et articles 1-26 

 

Quand j’ai quitté l’hôpital, mon état de santé aurait dû se normaliser. Tout le monde voulait que j'aille mieux, j'étais malade depuis trop longtemps. Il fallait que cela cesse maintenant que mon bébé était né. Personne ne l'a formulé ainsi. Toutefois, le comportement général laisse facilement imaginer que ce principe faisait l'unanimité. Je suis allée vivre avec Ludovic chez ma mère en attendant la fin de mon congé maternité. De cette période, j'ai assez peu de souvenirs. Je faisais toujours du sur-place mental, paralysée par mon angoisse la plupart du temps.

 

Le bain était à chaque fois une étape difficile. La salle de bains très petite, sans fenêtre, et mal éclairée augmentait mes appréhensions. Je me sentais très à l'étroit, il fallait faire attention à tout. J'aime avoir de l'espace pour pouvoir m'organiser. Qu'est-ce que j'aurais aimé à ce moment-là être capable de faire des choix, et par exemple, décider d'acheter une baignoire dont les rebords s'appuient sur celle qui est scellée au lieu d'avoir tous les jours à me plier en deux au-dessus de celle que l'on m'avait prêtée, posée sur le fond, avec tous les kilos que j’avais pris ! C'est le genre de petit détail que l'on apprécie bien sans être malade, à fortiori quand on l'est. Depuis la maison natale, ma promenade avec le landau s'est transformée en... une véritable corvée ! Ma hantise d'atteindre le premier virage sur cette route de campagne, sans trottoir, me faisait rebrousser chemin au bout de deux cents mètres. La visibilité réduite à partir de cet endroit et la vitesse souvent excessive des véhicules me faisaient redouter un accident. Dans l'autre direction, le village était très proche et je craignais les regards de mes rencontres et en particulier des femmes. J'ai ressenti à mon égard le jugement sur la fille-mère. Je me suis sentie « pauvre fille ».

 

Après avoir réussi toutes mes études achevées avec un D.E.A. de biochimie, j’avais ensuite renoncé à ma thèse de chimie organique à cause d'une explosion que même les vieux routards du laboratoire n’avaient pas prévue, et qui aurait pu me coûter la vie. J’avais ensuite enseigné les sciences pendant quelques années, puis réussi une carrière commerciale dans l’industrie. Dorénavant, je me retrouvais seule avec mon bébé, et malade. Auparavant, je faisais envie, à présent, je faisais pitié. Tout se sait dans un village. Mais on ne connaît jamais la vérité. J'ai consulté régulièrement le psychiatre qui m'avait suivie à la maternité et je ne sais si c'est lui qui m'a conseillée de retourner vivre chez moi, à Paris. Il est possible que tout simplement, je l'aie décidé, car à cette époque, je redoutais vivement de perdre mon travail. Je devais, à tout prix, garder ce moyen de survie pour nous deux.

 

Peu avant la fin de mon congé maternité, nous avons réintégré mon appartement dans le onzième. Je ne me souviens plus qui nous a conduits. C'est le trou noir. On a installé le petit lit à barreaux et la commode de Ludovic dans ma chambre. Une fois seule avec mon bébé, j'ai ressenti un vide autour de nous. Il me fallait faire face à la situation. Profondément angoissée, je n'ai pu que parer au minimum vital. Je m'efforçais de ne pas imaginer l'avenir. Le quotidien m'effrayait et, au prix d’énormes efforts, je l’ai assuré. La stérilisation ainsi que la préparation des biberons, auraient dû être un jeu d’enfant pour une chimiste, mais c’était pour moi, à chaque fois, une source de stress. Le doute et la peur de l’erreur me hantaient. Le seul de mes vrais amis parisien m'a beaucoup aidé. Quelques jours après notre arrivée, il m’a accompagnée en voiture jusqu'à un magasin d'articles pour bébé, pour acheter une poussette. S'il n'avait pas été là, je crois que je n'en aurais pas eu de sitôt, parce que : je n’aurais pas su où aller l’acheter, ensuite, la choisir m’aurait été difficile, mais revenir avec, en métro, encore plus ! Voilà où en étaient mes réflexions. Quelque chose d'aussi banal était vraiment pour moi une montagne ! Maintenant que j'y pense, les camions de livraisons, c'est fait pour ça ! Ou encore, j’aurais pu tout simplement rentrer à pied, avec mon bébé… Dans la poussette !

 

La Médecine du Travail m'a bien sûr autorisée à reprendre mon activité à mi-temps thérapeutique. Je me demande d'ailleurs à quoi elle peut servir dans ce domaine, avec un tel degré d'incompétence. À moins qu’ils ne se prennent pour des fées avec une baguette magique, et qu’il leur suffise de décréter : « apte au travail » pour que, par enchantement, la personne se remette à la tâche comme avant ! Mon chef ne s'est pas mépris. Il ne m'a pas laissée reprendre la responsabilité de mon service après-vente au téléphone. Il m'a donné un travail non urgent : des modifications de fiches techniques pour la mise aux normes. Pas de création, seulement disposer les phrases dans la bonne rubrique, de l'agencement, ni plus, ni moins.

 

Je me suis rendue au C.P.M.I. qui gère les nourrices et les crèches pour la ville de Paris dans mon quartier. Comme je m'y prenais vraiment très tard, plus personne n'était disponible, et finalement, on m'a transmis les coordonnées d'une nourrice non agréée. Ce n’était pas tout près de mon domicile et pour arriver à son appartement, il fallait grimper les quatre étages d'un immeuble ancien. C'était une tunisienne, qui vivait là avec son mari et ses deux enfants de deux et cinq ans environ. Elle gardait aussi à la journée une petite fille d’un an. Leur surface habitable était de l’ordre de quarante mètres carrés. Quand on entrait, une humidité pleine d'odeurs vous prenaient aux narines et à la gorge. Pas de ventilation, le linge qui sèche à l’intérieur pendant l’hiver, des pièces minuscules… J'ai bien failli repartir, mais je n'avais pas d'autre possibilité. J'ai laissé à regret mon fils tous les après-midis de la semaine où je suis allée travailler. Il fallait un quart d'heure à vingt minutes de marche soutenue pour m'y rendre avec la poussette, l’attente aux feux comprise. Dire que mon lieu de travail était à cinq minutes à pied de mon domicile, mais dans la direction opposée ! Les jours de froid, passe encore… Les jours de forte pluie, c'était terrible ! Quand je revenais le chercher après le travail, c'était encore plus angoissant, car j'entendais souvent des pleurs d'enfants et je craignais que ce ne soit le mien et qu'il soit malade ou blessé. Le moins que je puisse dire est que la confiance était restreinte ! La communication avec cette dame était très difficile. Je me souviens qu'elle ne me faisait pas entrer chez elle quand j'amenais Ludovic car la petite dormait et on l’aurait réveillée en parlant !… Et c’était le même topo quand je le venais le rechercher, son mari et ses enfants étant rentrés ! Problème d’espace ? On ne discutait pas non plus, à part le minimum, vraiment très restreint. Jamais je n'aurais accepté ces conditions si je n'avais pas été malade. Dans ce cas, il est possible qu’elles eussent été bien différentes. Je ne savais même pas où il dormait !

 

De plus, probablement pour me faciliter la vie, la propriétaire de l'immeuble m'a interdit de laisser la poussette en bas de l'escalier alors qu'il y avait un petit local vide qui aurait pu être destiné à cet effet !... Il aurait suffi de poser une serrure à la porte pour empêcher les vols. Son seul souci était apparemment que l'argent rentre et que le bâtiment dans sa totalité reste en bon état. J'étais bel et bien en train de vivre ce que je redoutais pendant ma grossesse : monter le bébé, redescendre chercher les courses, et à nouveau, redescendre pour cette lourde poussette. Même chose pour sortir, les courses en moins et dans l'autre sens...

 

Mon ami fidèle depuis l'université, parfois avec son épouse, passait me voir pour prendre ma liste des courses. La première fois, il n'est pas revenu avec le bon paquet de couches. Mes explications étaient probablement si claires qu'il est descendu les échanger deux fois ! Mais il n’a manifesté aucune animosité ! J’étais vraiment gênée. Qu'aurais-je fait sans lui ? Le soir, mon angoisse augmentait avec l'arrivée de la nuit. Mais avec les médicaments que je prenais, Ludovic a probablement hurlé en vain, plus d'une fois, même si son lit était à un mètre du mien. Un soir, il s'est mis à pleurer, puis crier tant et si longtemps sans s'arrêter que, l'ayant trouvé brûlant, je n'ai pas pris sa température de peur d'agir trop tard, je lui ai mis un suppositoire pour faire baisser sa fièvre et ai appelé un médecin. Quelle inconscience ! Quand ce dernier est arrivé, Ludovic s'est arrêté de pleurer une fois dans ses bras. Il ne lui a rien trouvé et il m'a dit : il avait seulement envie d'entendre une voix d'homme ! Pour ma part, je pense aussi qu'il avait envie d'être au contact d'une personne non angoissée. Ce devait être terrible pour lui de m'avoir comme maman, ainsi malade, et qui plus est, de n'avoir que moi.

 

Un ou deux mois se sont écoulés, quand, m’entendant exprimer mon désespoir au téléphone, ma mère est venue nous rejoindre. Mais j'ai continué avec la nourrice pour ne pas la perdre, sauf de temps en temps où Ludovic restait avec sa mamie. Pendant la nuit, elle s'occupait de lui quand il pleurait et qu'elle n'arrivait pas à me réveiller, c’est-à-dire presque toutes les fois. La situation n'était déjà pas facile pour elle, et il faut ajouter qu’à soixante-cinq ans, se retrouver dans un petit appartement de soixante mètres carrés en plein Paris quand on habite une grande maison à la campagne avec un jardin, c’est un drôle de changement ! Cela ne lui a pas remonté le moral. Au bureau, malgré la grande simplicité de la tâche, je ne parvenais pas à la réaliser sans aller demander de l'aide en permanence. J'étais trop angoissée pour me concentrer sur quoi que ce soit d’autre que mes sempiternelles questions. Qu'allons-nous devenir ? Vais-je pouvoir remonter la pente ? Et si Ludovic avait un problème ? Etc. ... De plus, je me faisais du souci pour lui que j'avais laissé chez la nourrice. Un vide était très vite rempli et avec un tel bruit de fond, il est impossible de réfléchir. Après trois mois de « travail à mi-temps thérapeutique », mon chef m'a dit de rentrer chez moi, après que je l'aie dérangé une fois de plus pour lui demander son avis. Retour chez le médecin pour un nouvel arrêt de travail !

 

Cette situation aurait pu durer longtemps, si la veille, nous n'avions eu la visite de mes deux amis du Midi. L'un m'ayant accompagnée pour amener Ludovic chez la nourrice, m'a conseillé d'arrêter : "Tu te rends compte ! Tu as vu comme il s'est mis à hurler au bas de l'escalier ! Il te dit qu'il ne veut plus y aller !" L'autre s'est adressé à ma mère : "Votre place n'est pas ici ! Cela vous déprime aussi. Il vous faut repartir chez vous au plus vite. Et il faut faire soigner d'urgence votre fille !"

 

Quelques jours plus tard, on quittait Paris. Mon frère est venu nous chercher. Je nous revois encore dans la voiture sur l'autoroute. J'avais beaucoup d'amertume et surtout un sentiment de défaite totale. Je venais de partir après avoir accepté mon incapacité à travailler, même à mi-temps thérapeutique, élément indispensable à notre survie matérielle, mais aussi mon incapacité à m'occuper toute seule de Ludovic. J'avais aussi compris que si solution il y avait, elle ne serait pas compatible avec le fait de continuer sur la direction dans laquelle j'avais accepté de marcher jusqu'ici. Le seul fait de me sentir en sécurité momentanément dans cette voiture, malgré tous ces conflits intérieurs, me prouvait que c'était possible. J'étais avec des membres de ma famille et ils me soutenaient, même s'ils avaient très peur pour moi. J'avançais vers l'inconnu, mais je n'étais pas seule physiquement. Ma solitude n'était effective qu'avec mes problèmes. Mais ma détresse n'était pas une illusion, elle était bien réelle. Et ses conséquences étaient là : j'étais totalement dépendante puisque je ne pouvais pas me débrouiller toute seule. Pour mon bébé, c'était encore plus vrai.

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Paulette Benetton

Isère, ARA, France

née en 1952

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